“Le temps perdu ne se rattrape jamais. Il se vit autrement, parfois dans l’amertume.”— Tahar Ben Jelloun
Le 24 mars 2024, les sénégalais prenaient d’assaut les gares de l’histoire pour monter dans le TER du changement. Les billets avaient été vendus au nom de la rupture, de la souveraineté, de la justice indépendante, du peuple enfin restauré dans sa dignité. Les rails vibraient des cris d’espoir, les locomotives sifflaient à l’unisson d’une nouvelle ère. Mais un an plus tard, le TER est à quai, moteurs coupés, aiguillage brouillé. Le pays attend. L’attente pèse. Et le rêve s’effiloche.
Il faut dire que le billet avait été vendu avec une éloquence savamment construite : les populistes ont l’art de transformer les blessures en carburant politique. Ils captent la colère, l’enrobent de promesses, sculptent des slogans dans le marbre des frustrations. Les jumeaux du mirage, portés par la colère et l’énergie rebelle d’un peuple fatigué, sont arrivés aux commandes avec les habits neufs de la rédemption. Mais à force de surfer sur les douleurs, on finit parfois par oublier qu’il faut aussi gouverner, tracer la voie, mettre la machine en marche.
Depuis un an, le TER ne bouge plus. On a troqué les plans de voie contre des polémiques, remplacé les tableaux de bord par des conférences de presse ou des live Facebook. On débat des chiffres de l’ancien régime, au lieu de produire des résultats. On invente des ennemis à chaque carrefour pour masquer l’absence de direction. Le train est là, flambant neuf, mais sans mouvement. Et un train immobile finit toujours par devenir décor.
L’indépendance de la justice, cette promesse sacrée, s’est transformée en illusion douce. Les nominations partisanes s’enchaînent, les juges favorables sont récompensés, et les adversaires deviennent suspects par nature. L’égalité devant la loi n’est plus une règle, mais une exception soumise à géométrie politique variable. Quant à la souveraineté, elle reste un mot-valise que l’on brandit aux tribunes mais que l’on trahit dans les actes.
Le temps passe, et le train ne part pas. Et ce temps, cruel, file sans retour. Benjamin Franklin le disait : “Vous pouvez retarder, mais le temps, lui, ne le fera pas.” Pendant qu’on s’invente des procès, qu’on décortique des tableaux Excel à la recherche de “faux chiffres”, le monde avance, l’Afrique se transforme, et le Sénégal stagne dans la gare du verbe creux.
Et dans cette cacophonie, une silhouette manque cruellement à l’appel : celle d’un homme digne, austère et rigoureux. L’Almamy des Finances, l’ancien ministre, Mamadou Moustapha Ba, disparu en novembre 2024, incarnait cette rare espèce d’hommes d’État qui gouvernent plus par la rigueur que par la rumeur. Il savait que les finances publiques ne sont pas des slogans, mais des équilibres. Que le patriotisme ne s’affiche pas, il se prouve. Il nous laisse cette leçon cruelle : “Il y a des hommes qui, même dans le silence, gouvernent mieux que ceux qui crient fort depuis les tribunes.” [Bassirou Kébé, 2025]. À lui seul, il symbolise ce qui manque cruellement aujourd’hui : la compétence sans bruit, l’engagement sans populisme.
Alors oui, joyeux anniversaire à ce régime, qui voulait incarner la renaissance et qui, en un an, a surtout prouvé que le verbe ne suffit pas à nourrir un peuple. Le TER de l’émergence est en panne. Le destin du pays est en veille. Et le peuple, lui, commence à comprendre que l’espérance ne suffit pas à faire avancer un train.
Bassirou KÉBÉ
Président de LIGGEY SUNU REEW
Membre du FDR