Objet : Préserver les bases militaires de Bel Air et de Rufisque dans l’intérêt supérieur de la Nation
Excellence Monsieur le Président,
Nous avons été informés de l’intention du gouvernement de céder temporairement une partie des anciennes bases militaires de Bel Air et de Rufisque à des opérateurs privés afin de renforcer les recettes publiques dans le cadre du Plan de Redressement Économique et Social. Si cette démarche s’inscrit dans une volonté de mobilisation endogène des ressources, elle comporte néanmoins des risques immédiats qui, selon nous, doivent faire l’objet d’une attention particulière.
Notre analyse, nous a amené à identifier des risques immédiats au moment de la rétrocession
Le premier serait la déstabilisation du maillage sécuritaire de la capitale.
Ces deux sites ne sont pas des terrains ordinaires. Ils constituent des points stratégiques pour la surveillance côtière, l’accueil logistique et la coordination rapide des Forces de Défense et de Sécurité (FDS). Leur indisponibilité opérationnelle, même temporaire, affaiblit la capacité de réaction de l’État en cas de crise.
Le deuxième risque et non des moindre consiste en une fragmentation de l’intégrité territoriale. Une cession même limitée à des acteurs privés, sans contrepartie militaire, crée une discontinuité dans la planification urbaine sécuritaire. Elle ouvre la voie à des usages commerciaux difficilement réversibles et à une perte de contrôle sur des zones historiquement protégées.
Il faudra aussi considérer l’affaiblissement diplomatique que cela pourrait entraîner en zone instable car dans un contexte sahélien marqué par l’instabilité (11 600 décès dus aux attaques terroristes en 2023 selon l’ONU), tout signal de désengagement militaire peut être interprété comme un affaiblissement de la doctrine de défense sénégalaise, et compromettre notre rôle stratégique en Afrique de l’Ouest.
Nous devons aussi rester vigilant quant à notre vulnérabilité énergétique accrue. Avec l’entrée du Sénégal dans l’ère pétrolière et gazière, ces bases devraient être renforcées comme pôles de protection des infrastructures critiques. Leur rétrocession, même encadrée, réduit notre capacité de sécurisation préventive autour des zones de production et d’acheminement.
Enfin les mauvais précédents économiques et politiques doivent nous servir de leçon. Les retombées espérées d’opérations similaires, comme la vente partielle du foncier de l’ancien aéroport Léopold Sédar Senghor, se sont révélées décevantes : absence de projets structurants, opacité des contrats, et démobilisation populaire. Ce précédent doit inviter à la prudence.
En outre, la question centrale de la gestion et de la surveillance de cette cession reste à clarifier. Si le preneur valorise ces bases au fil du temps, quelle forme de dédommagement ou de compensation recevra-t-il au moment de la rétrocession ? Il est impératif que des garanties solides soient mises en place pour éviter que cette valorisation ne bénéficie uniquement à des intérêts privés au détriment de la souveraineté nationale et de la sécurité. Il convient de prévoir un cadre juridique strict afin que cette transaction ne mette pas en péril les intérêts de l’État et de la nation dans le futur.
For de tout cela, nous vous proposons respectueusement les alternatives suivantes :
- Réaffectation stratégique intégrale de ces sites aux FDS ;
- Transformation en centres militaires régionaux de formation et de coordination ;
- Sanctuarisation juridique de leur statut pour éviter toute aliénation temporaire ou définitive.
Excellence, l’économie d’une Nation ne se redresse pas au détriment de sa sécurité. Ces bases ne sont pas des biens ordinaires : elles sont les veines stratégiques de notre souveraineté. L’avenir exige des choix fermes, équilibrés, et transparents.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre haute considération.
Cheikhou Oumar Sy
Théodore Chérif Monteil
Anciens députés à l’Assemblée nationale