Ibrahim Traoré ou l’art de la diversion – par Marwane Ben Yahmed

Devant les « forces vives » de la région du Plateau central, le 20 mars, en marge de l’inauguration d’une cimenterie, le capitaine Ibrahim Traoré a mis tout en œuvre pour faire oublier la triste réalité du Burkina Faso depuis qu’il a pris le pouvoir, en septembre 2022.
« J’espère que chacun a pris conscience que nous ne sommes plus dans une guerre contre le terrorisme, mais dans une guerre d’indépendance. Il faut comprendre que cette guerre nous a été imposée par une logique impérialiste. Il est donc logique qu’ils veuillent nous dominer et nous maintenir dans un état de guerre permanent, afin de nous empêcher de réfléchir et de nous développer », a-t-il expliqué à son auditoire.
Une diatribe nauséabonde
« Ils » ? Le chef de la junte burkinabè ne cite évidemment aucun nom ou pays, mais poursuit en évoquant une fois encore Thomas Sankara, qui doit se retourner dans sa tombe : « Dans ce combat, le plus dangereux, c’est la guerre de communication et les médias impérialistes. Ils ont procédé par la même méthode pour mettre le feu au Rwanda, pour détruire le Soudan, pour détruire l’Afrique. » Là, il n’hésite plus à nommer l’ennemi : Jeune Afrique.
Manipulateur de l’information, dit-il, menteur, maître chanteur, vendu aux chefs d’État pour « laver leur image »… « Et si les Africains veulent évoluer, il faut arrêter d’écouter ces médias mensongers, la désinformation bat son plein ! »
Diatribe nauséabonde, qui n’a d’autre objectif que de faire diversion.
Justifier l’injustifiable
C’est vieux comme les dictatures, et Ibrahim Traoré est coutumier du fait : désigner un bouc émissaire, l’impérialisme, les médias, les Ivoiriens, l’Occident, les Peuls, les Martiens… Ce n’est pas en portant des accusations aussi grossières contre les médias en général, et contre Jeune Afrique en particulier, qu’il justifiera l’injustifiable.
Pris en otage par un quarteron de militaires incompétents et despotiques, le Burkina Faso poursuit sa descente aux enfers. Ibrahim Traoré se présente en sauveur de la nation ? Il en est surtout le fossoyeur. La restauration de la sécurité et la guerre contre les terroristes, qui avaient servi de honteuse justification aux putschs contre Roch Marc Christian Kaboré puis contre Paul-Henri Sandaogo Damiba, demeurent un mirage. La situation sur le terrain a même empiré.
Un tyran de plus
La propagande officielle tourne à plein régime, les médias publics ont été transformés en Pravda sahélienne, les médias étrangers (dont Jeune Afrique) ont été interdits. Les autres, tous les autres, journalistes, membres de la société civile, acteurs politiques ou simples citoyens, sont réduits au silence, emprisonnés, emmenés de nuit par des militaires encagoulés ou envoyés de force au front.
Ibrahim Traoré peut multiplier ses discours, médiocres succédanés des envolées de Sankara, Sekou Touré ou Che Guevara, attaquer Jeune Afrique et tous ceux qui tentent de révéler son incompétence, ses exactions et ses crimes, lui qui a détruit en si peu de temps la démocratie burkinabè sans mettre fin au terrorisme, rien ne changera la réalité : il n’est qu’un vulgaire putschiste, un tyran de plus qui échoue dans sa mission. En aucun cas le Thomas Sankara auquel il ose se comparer.