Inaugurée par Macky Sall en novembre 2023, la Maison des Nations unies, censée accueillir 34 agences onusiennes à Diamniadio, prend la poussière depuis lors.
Sur ce dossier, de Dakar à New York, le silence est d’or.
À la périphérie de la capitale sénégalaise, sur un terrain de quelque 14 ha, s’étend un impressionnant bâtiment de 60 000 m², dont 40 000 m² de bureaux. Selon l’agence internationale d’architecture Wilmotte & associés, qui l’a conçu, la forme de ce complexe de sept étages « rappelle celle d’un moulin à eau ou d’un soleil dont les rayons évoquent la concentration mais aussi le rayonnement et les influences ». Dans la ville nouvelle de
Diamniadio, ce « volume circulaire blanc, avec sept ailes qui se déploient », dont la construction – lancée en 2018 par l’ex-président Macky Sall – est financée par les deniers publics sénégalais dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP), est depuis longtemps fin prêt à accueillir ses hôtes. Pourtant, jusqu’ici, la Maison des Nations unies reste désespérément vide.
Les 2 400 employés des 34 agences, fonds et programmes de l’ONU actuellement basés à Dakar devaient pourtant y prendre leurs quartiers, concrétisant le principe du « One UN » (« Unis dans l’action »).
En mars, Bigué Seck, la responsable de la communication de la société Envol Immobilier – dont les principaux responsables sont Madani Maki Tall, président du conseil d’administration, Moctar Thiam, directeur général, et Aminata Niane, administratrice et conseillère – confirmait à Jeune Afrique que cette société chargée à la fois de superviser la conception, le financement et la construction de la Maison des Nations unies avait depuis longtemps livré le bâtiment au gouvernement sénégalais.
Le coût de celui-ci s’élève à 175 milliards de F CFA (266,7 millions d’euros). Une somme que l’État du Sénégal devra rembourser à Envol Immobilier à la façon d’un loyer, dans le cadre d’une location-vente, sur quinze ans.
L’équipement de la Maison des Nations unies « a été personnalisé en fonction des besoins spécifiques de chaque agence », précise encore notre interlocutrice.
Pourquoi, alors, l’emménagement est-il sans cesse reporté ?
« Aucune information précise » n’explique le report de l’emménagement
Sollicitée par Jeune Afrique, la Société de gestion et d’exploitation du patrimoine bâti de l’État (Sogepa) confirme avoir assuré le suivi des travaux en tant que maître d’ouvrage. « Je ne peux répondre à aucune question mais seulement transmettre vos demandes au ministère des Affaires étrangères », rétorque toutefois notre interlocutrice. Auprès de ce ministère, nous n’obtiendrons guère plus de précisions. « À ce stade, nous sommes en discussion avec nos partenaires et n’avons aucune information précise pour éclairer les médias sur ce sujet en lien avec un partenaire aussi important et stratégique que l’ONU », nous répond la conseillère chargée de la communication.
Entre-temps, nos démarches auprès de différents employés des Nations unies à Dakar tendent néanmoins à confirmer que depuis l’inauguration du bâtiment par l’ex-président Macky Sall, le 23 novembre 2023, un grain de sable est venu gripper le processus.
Celle-ci s’était déroulée en présence de la vice-secrétaire générale de l’ONU, Amina J. Mohammed.
Un événement salué sur le site des Nations unies comme « une étape dans l’engagement du Sénégal envers le multilatéralisme ». « Cette Maison des Nations unies est l’expression de notre vision commune de coopération entre le Sénégal et les Nations unies pour promouvoir un avenir de paix, de dignité et de prospérité pour le peuple sénégalais, pour la région et pour toute l’Afrique », avait alors souligné Amina J. Mohammed.
« Ce dossier est estampillé confidentiel », précise toutefois une source onusienne à Dakar, ajoutant que « le planning annoncé pour l’emménagement a fait l’objet de plusieurs reports successifs ». Lié à certaines des agences concernées par des « accords de siège » remontant, pour les plus anciens, aux années 1960, l’État sénégalais assurait jusqu’ici l’hébergement de plusieurs agences régionales en contractant lui-même auprès de bailleurs privés. « Trouvant que la facture était trop salée, Macky Sall a lancé la construction de ce bâtiment dont l’ONU devait prendre en charge les frais de maintenance », ajoute notre source.
Des réticences chez le personnel onusien
« Certaines agences paient uniquement les frais d’entretien ; d’autres versent aussi un loyer. Un déménagement vers la Maison des Nations unies aboutirait globalement à la réduction de nos coûts, ce qui serait l’idéal pour l’ONU », précise un responsable de l’organisation internationale à Dakar. Un autre cadre onusien ajoute que plusieurs de ses collègues « ont déjà pris les devants et trouvé un domicile à Diamniadio dans l’attente que l’ONU y emménage ». « Depuis l’inauguration, en 2023, on nous a seulement prévenus que nous devions nous tenir prêts », précise-t-il. D’autres, en revanche, qui résident et travaillent dans les quartiers cossus des Almadies ou du Point E, à Dakar, traînent manifestement les pieds face à cette migration vers la ville nouvelle, située à une trentaine de kilomètres de la capitale par l’autoroute. Au point, parfois, de préférer solliciter une mutation dans un autre pays.
Les nouvelles autorités n’ont pas exigé de loyer mais seulement une prise en charge collective de la maintenance du bâtiment.
Une source gouvernementale sénégalaise
D’après nos informations, dans plusieurs agences ayant déjà résilié le bail relatif aux locaux qu’elles occupaient, pensant rejoindre de manière imminente la Maison des Nations unies, le personnel se retrouve aujourd’hui obligé de télétravailler. « Une partie de leurs employés se montrent réticents à l’idée de déménager à Diamniadio », confirme une source officielle sénégalaise qui a finalement accepté d’éclairer notre lanterne. Mais, à l’en croire, d’autres facteurs sont encore venus compliquer la donne. « À New York, certains voient d’un mauvais œil le fait qu’un État offre ainsi un siège clés en main aux Nations unies, au risque que des compromissions autour des marchés relatifs à la construction ou à l’entretien des locaux puissent les éclabousser », précise notre interlocuteur. Toutefois, poursuit cette source au sein d’un ministère, « les nouvelles autorités n’ont pas exigé de loyer mais seulement du cost-sharing, autrement dit une prise en charge collective de la maintenance du bâtiment ».
L’ONU prise à la gorge financièrement
« Le problème, c’est que la perspective du déménagement survient à un moment où les Nations unies sont prises à la gorge financièrement », indique une source onusienne. Alors que le secrétariat général de l’organisation est confronté depuis plusieurs années à une « crise de liquidités » chronique, due notamment aux retards de paiement par plusieurs États membres de leurs contributions au budget ordinaire, les agences de l’ONU doivent par ailleurs faire face à une baisse drastique de l’aide publique au développement et des financements humanitaires.
Nombre de pays européens, dont la France, avaient déjà décidé de réorienter leurs financements vers d’autres acteurs que ces agences.
Quant aux États-Unis, ils ont supprimé unilatéralement, depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, en janvier, le financement de 83 % des programmes soutenus par l’Usaid (le principal bailleur de fonds de la solidarité internationale), aggravant de manière substantielle la situation financière de plusieurs agences onusiennes qui en étaient les bénéficiaires.
Après avoir sollicité un porte-parole des Nations unies à Dakar dès le 1er avril, afin de connaître l’explication de l’organisation quant au report sine die de l’emménagement des agences dakaroises à Diamniadio,
Jeune Afrique aura dû patienter près d’un mois avant de recevoir par courriel une réponse minimaliste. « L’ONU est profondément reconnaissante au gouvernement sénégalais pour sa générosité et son engagement. La Maison des Nations unies témoigne de la ferme volonté du Sénégal d’œuvrer en faveur du multilatéralisme et de l’accélération de la mise en œuvre des objectifs de développement durable », éludera notre interlocuteur, après avoir attendu longuement un feu vert du siège new-yorkais pour nous divulguer ces modestes éléments de langage.
Quant aux raisons du retard, il se contentera de nous indiquer que « l’ONU reste attachée à la Maison des Nations unies et poursuit activement les discussions avec le gouvernement sénégalais à cette fin ». Mais pour la seconde année consécutive, la Maison des Nations unies, inoccupée donc non entretenue, s’apprête à affronter les pluies d’hivernage, ressemblant de plus en plus à un « éléphant blanc », ces mégaprojets d’infrastructure plus coûteux que bénéfiques pour la collectivité.
