Dans une succession de retournements aussi dramatiques qu’inattendus, Mahamoud Ali Youssouf, le Ministre des Affaires Étrangères de Djibouti, a été élu président de la Commission de l’Union Africaine, détrônant ainsi des candidats favoris dans une bataille électorale haletante. Les premiers tours avaient vu le candidat.
Les applaudissements résonnent dans le hall Nelson Mandela où se tenait le vote à huit-clos, au siège de l’Union africaine (UA). Après sept tours de scrutin, le Djiboutien Mahamoud Ali Youssouf vient d’obtenir, ce samedi 15 février, les deux-tiers des bulletins nécessaires à son élection à la tête de la Commission de l’UA, soit 33 voix sur les 49 votants – le Gabon, le Mali, la Guinée, le Soudan, le Burkina Faso et Niger sont suspendus à cause des putschs perpétrés sur leurs territoires
L’ex-premier ministre kényan Raila Odinga était pourtant donné favori après sa campagne en grande pompe. Cette stratégie semble toutefois avoir desservi le candidat malheureux à cinq élections présidentielles dans son pays. Le premier tour l’a d’ailleurs placé en tête. « Nous avons assisté au même scénario qu’il y a huit ans, lors de l’élection de Moussa Faki face à la kényane Amina Mohamed », explique un diplomate qui a assisté au vote.
Une campagne stratégique
L’écart s’est creusé en faveur de Youssouf après l’élimination, au troisième tour, du dernier concurrent, le Malgache Richard Randriamandrato. Non seulement le ministre des affaires étrangères djiboutien, qui occupe ce poste depuis 2005, a 30 ans de moins que son principal rival, octogénaire. Il parle en outre le français, l’anglais et l’arabe, les trois langues officielles de l’institution panafricaine. Et puis, il est de confession musulmane, ce qui lui a permis d’engranger les soutiens des dix États africains membres de l’Organisation de la coopération islamique et des 26 de la Ligue arabe.
Mais c’est surtout sa campagne, axée sur la diplomatie, et sur l’adresse à des groupes de pays, et non à des nations individuelles, qui pourrait avoir fait la différence. « Le Kényan Odinga est accusé d’avoir voulu acheter littéralement tous les votes, affirme une source, également présente dans la salle du scrutin. Les chefs d’État et diplomates sont pragmatiques et n’ont pas envie de voir leur vote comme de la corruption passive. Le continent n’a pas besoin de ça… »
Pendant la campagne, Youssouf a mis l’accent sur l’accélération des réformes enclenchées au sein de l’UA depuis 2017 mais aussi sur le retour de la paix sur le continent. La tâche s’annonce ardue au vu des crises qui traversent l’Afrique. Dans son discours d’ouverture du 38e sommet de l’instance, au matin de l’élection, le président sortant Moussa Faki Mahamat s’en est justement pris au Conseil de paix et de sécurité l’UA, l’organe censé faire taire les armes. « Il est très regrettable que ses décisions soient parfois contraires à nos principes et, quand elles ne le sont pas, elles restent souvent lettre morte », a dénoncé le Tchadien qui a passé huit années à la tête de la Commission. L’an dernier, Faki avait déjà insisté sur les 93 % des décisions de l’UA qui ne sont jamais mises en œuvre.
Le Djiboutien pourra compter sur sa vice-présidente, l’Algérienne Selma Malika Haddadi, pour l’épauler. Elle a été élue un peu plus d’une heure après lui, face à la Marocaine Latifa Akharbach et à l’Égyptienne Hanan Morsy. Selma Malika Haddadi était jusqu’à présent ambassadrice de l’Algérie en Éthiopie. Cette diplomate maîtrise, elle aussi, les trois langues de l’UA. Elle a axé sa campagne sur la consolidation de la gestion administrative et financière de la Commission. Et souhaite, également, « renforcer la confiance et la synergie entre la Commission et les États membres de l’UA »