Sur cette page aujourd’hui, c’est un autre article qui aurait dû être publié, sous une autre signature. Mais la machine répressive du pouvoir a pensé sans doute pouvoir priver les lecteurs de leur Contrepoint hebdomadaire, en cachant à Bachir Fofana la lumière. Au journal Le Quotidien, nous avons estimé que cela ne devait pas être. Et nous ferons tout pour que notre chroniqueur retrouve sa famille, ainsi que son espace dans notre journal.
Ils avaient promis d’ouvrir une page blanche pour construire un Sénégal juste et prospère. Mais, le monstre est revenu, et c’est comme s’il ne nous avait jamais quittés : il est réapparu avec un appétit plus gargantuesque. Bachir Fofana a été donc écroué hier. Alors qu’il aurait dû être au rendez-vous du Contrepoint de ce week-end, la chronique hebdomadaire qu’il tient dans Le Quotidien depuis plusieurs mois. Mais, le procureur l’en a empêché en le plaçant sous mandat de dépôt pour diffusion de fausses nouvelles. Il sera jugé mercredi en flagrant délit, une pratique que certains semblent considérer comme un cadeau fait aux justiciables ou un signal de changement dans le traitement judiciaire des dossiers. Qu’est-ce qui différencie ce pays de la république de Gondwana, schématisée par l’humoriste Mamane pour caricaturer les Etats dirigés d’une main de fer par des dictateurs mégalomanes ? Entre le virtuel et le réel, il n’y a plus d’écart. Ou même, comme on dit, la réalité dépasse la fiction.
Pour un régime élu sur ses promesses de rupture, il est triste de constater que la démagogie et la gouvernance de la menace et de l’intimidation font partie intégrante des règles de gestion. Il n’y a même pas eu de temps de jouissance, mais un enchaînement de coups de marteau sur des acquis arrachés par une génération d’hommes politiques. Les mêmes qui ont renoncé à tout pour façonner la trajectoire de ce pays. Ils ont vécu la prison, la clandestinité pour créer ce modèle miroir en Afrique francophone. Mais, tout a changé. On voit même certains communistes, las d’attendre le grand soir, se transformer en laquais du souverainisme et se faire complices d’actes dignes des régimes du parti unique. Il faut ajouter au décor une Société civile enveloppée dans sa lâcheté et l’espoir d’être invitée au banquet des «Patriotes». On voit surtout des médias qui ont cédé opportunément quand la nuit tombait sur eux. D’autres tentent de se défendre avec le courage d’un taureau sur le chemin de l’abattoir. Alors que la répression s’intensifie sous le régime de la diffusion de fausses nouvelles, d’offense au chef de l’Etat.
Pourtant, on avait promis l’abrogation de l’article 80, la fin des retours de Parquet. On a recours désormais aussi à l’article 254 du Code pénal pour protéger «une personne exerçant une ou des prérogatives du chef de l’Etat». Une évolution juridique que même George Orwell, dans son célèbre ouvrage 1984, n’aurait pas imaginée. Macky Sall n’est pas un sain, mais son pouvoir n’était pas allé aussi loin pour punir certains délits, en ayant recours à cet article liberticide afin d’offrir une protection judiciaire à une personne nommée par un simple décret. L’argument de l’establishment de Pastef pour maintenir les articles 80 et 254 ? Il faut protéger les institutions de la République. Une pirouette pour des girouettes. Souriez ! Depuis son discours de Président élu, Bassirou Diomaye Faye s’acharne à insister sur l’importance de la réconciliation nationale. Jusqu’ici, ses déclarations ne sont suivies d’aucun acte pour refermer une fracture née en 2021. Au lendemain du Dialogue politique, il l’avait encore ressassée du haut de la tribune, mais quelques jours plus tard, Moustapha Diakhaté a été envoyé en prison pour avoir prononcé le mot «gougnafier».
Aujourd’hui, les gens peuvent décider de fermer les yeux ou de détourner le regard sur ce Sénégal qui se déforme. L’échaudage de notre société vacille. Mais, les ingénieurs politiques ne font rien pour éviter son écroulement, à l’image de ces immeubles qui s’effondrent à Touba et à Dakar. Il y a deux entités, inoculées du virus de la haine, qui regardent vers des horizons différents, comme si la devise de notre pays, «Un peuple, un but, une foi», était devenue juste des écritures sur nos emblèmes. Sur les plateaux de télévision et les Web Tv, les codébatteurs se jettent l’anathème dans une aisance assumée.
Dans les grands-places, les bus et les chaumières, les discussions s’achèvent par des mots aigres-doux, montrant la profondeur de la cassure. D’un côté, il y a les hommes intègres, et de l’autre, les «kulunas» et les «neutres», qui sont contraints de regarder un film indigeste sur leurs écrans de téléphone.
Or, rien de grand ne se construit dans ce climat délétère où tout semble faire croire qu’un simple accroc peut faire exploser les équilibres. Si Bassirou Diomaye Faye ne réussit pas durant son quinquennat à matérialiser cette réconciliation, son mandat n’aura pas impacté le pays. Ce sera une simple parenthèse qui viole les promesses d’un Sénégal différent, avec une Justice expurgée de ses articles rédigés du temps colonial ou du parti unique pour casser des opposants ou des journalistes critiques. Pour l’instant, le régime Pastef n’a pas emprunté cette route. Il préfère rester sur la voie de ses prédécesseurs pour montrer sa toute-puissance, qui écrase les voix discordantes. Sous les ors de la République.
Au Quotidien, tout le monde sait que je n’aime pas les commentaires de ce genre. C’est un point de vue. Aujourd’hui, ce sont les opinions qui sont réprimées de manière abrupte et sans discernement pour raboter nos acquis, bouleverser un modèle qui a enchanté des millions de personnes.
Je suis Bachir Fofana. Ce n’est pas un combat de solidarité rédactionnelle ou corporatiste, mais une bataille contre la judiciarisation de l’espace public, de la liberté de la presse et la pensée unique.
J’ai décidé de faire le Contrepoint de ce samedi pour montrer que personne ne peut emprisonner une idée, une liberté dans une cellule de prison. Et tout ce qui se construit par la force et l’excès s’effondrera par la puissance de la résistance des esprits libres. Peut-être qu’ils ne sont que deux, mais ils seront bientôt des centaines, des milliers et des millions pour modifier le décorum actuel du pays.
La grandeur n’est pas loin de la décadence, mais il faut se battre pour ne pas y tomber. Les poutres sont certes solides, mais tout peut céder sous le poids des injustices, terrain qui a permis à Pastef de forger la légende de son leader. Les personnes qui se croient messianiques ne se remettent jamais en cause, elles effacent de leur mémoire les fragilités de la vie. Oubliant que l’éternité est un attribut divin. Mais, le mur est leur frontière.