Le mardi 28 octobre 2025 au soir, les gendarmes sénégalais ont fait irruption dans le studio de la 7TV, une chaîne de télévision privée basée à Dakar, au moment où la journaliste Maïmouna Ndour Faye animait une émission en direct. Elle recevait à distance Madiambal Diagne, journaliste et patron de presse actuellement recherché par la justice sénégalaise et en fuite en France, visé par un mandat d’arrêt international. Peu après le début de l’entretien, le signal a été coupé, la journaliste interpellée par les forces de l’ordre et conduite à la Section de Recherches de la gendarmerie. L’intervention a provoqué une onde de choc dans le paysage médiatique sénégalais et fait débat au moment où Dakar abrite le Salon international des Médias africains, SIMA. Le doyen Matin Faye te apporte sa lecture objective dans ces lignes .
1. Le droit à l’information
Donner la parole à une personne recherchée peut se justifier si :
• L’objectif est d’informer le public, notamment sur des faits d’intérêt général ;
• Le média ne cautionne pas les actes reprochés ;
• L’entretien sert la vérité et la compréhension d’une affaire ou d’un contexte (politique, sécuritaire, judiciaire, etc.).
Interviewer un chef rebelle, un lanceur d’alerte, un présumé coupable recherché et en fuite comme dans le cas qui nous intéresse, peut contribuer à la compréhension des faits, à condition de respecter les règles journalistiques. Mais l’irruption des forces de l’ordre est un acte grave. Une intervention policière ou militaire dans un studio de télévision, pour interrompre une émission ou couper le signal, constitue une atteinte directe à la liberté de la presse et au droit du public à l’information, sauf dans des cas extrêmement limités (urgence nationale clairement justifiée et légale). En démocratie, seule une décision judiciaire dûment motivée peut autoriser une telle mesure. Sinon, c’est une forme de censure ou d’intimidation. Cela rappelle des pratiques de contrôle autoritaire où l’État cherche à imposer sa version des faits.
2. Le risque de légitimation ou de complicité
Là réside le cœur du problème éthique.
• Le média ne doit pas offrir une tribune complaisante à une personne recherchée ;
• Il doit éviter de l’aider indirectement à se soustraire à la justice (ce qui pourrait être considéré comme de la complicité) ;
• Il faut recadrer les propos : vérifier les faits, contextualiser, confronter à d’autres sources, et rappeler clairement le statut judiciaire de la personne.
3. Liberté de la presse Vs ordre public. Les autorités invoquent souvent la sécurité nationale, la lutte contre la désinformation ou la protection du secret d’enquête pour justifier de telles intrusions. Mais sur le plan éthique et juridique :
• La liberté d’informer est le principe ;
• La restriction est l’exception, strictement encadrée par la loi ;
• Les forces de l’ordre ne peuvent agir sans mandat ou en dehors d’une procédure régulière.
Autrement, cela viole les conventions internationales (Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, Article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples).
4. Les obligations déontologiques
Les chartes (Munich, IFJ, CNP Sénégal, etc.) rappellent que : « Le journaliste s’interdit la complaisance envers le crime, la corruption et la violence. » Ainsi, l’équilibre éditorial est crucial : d’une part mentionner que la personne est recherchée ou fugitif ; s’assurer que l’intérêt public prime sur la recherche du sensationnel d’autre part.
Même si 7TV a invité une personne recherchée, la Chaîne demeure un acteur journalistique, non un complice. Sa mission est d’informer sans interférer dans la procédure judiciaire. 7TV a le droit de protéger son indépendance et son intégrité éditoriale. Couper son signal par la force est une mesure disproportionnée. L’État peut saisir le régulateur des médias, mais pas agir unilatéralement par la police ou la gendarmerie.
Dans cette affaire, deux principes doivent coexister :
• La responsabilité journalistique : ne pas glorifier ni protéger une personne en fuite ;
• La protection de la liberté de la presse : refuser toute ingérence coercitive dans le travail des médias.
L’équilibre entre ces deux valeurs définit le degré de maturité démocratique d’un pays.


