Face à une dette publique qui frôle l’alerte rouge et une gouvernance jugée vacillante, le Dr Mouhamed Ben Diop sonne l’alarme. Expert en stratégie et leader du parti Pass-Pass, il mêle analyse économique pointue et discours politique assumé. Dans cet entretien sans détour, il revient sur les erreurs de gestion, propose des solutions concrètes, parfois radicales, et réaffirme sa vision pour un Sénégal souverain et rigoureux.
Vous avez récemment tiré la sonnette d’alarme sur une projection inquiétante : une dette publique sénégalaise atteignant 120% du PIB. Sur quoi se base cette projection, et que révèle-t-elle sur la situation actuelle des finances publiques ?
Cette évaluation est faite par la Barclays Bank et qui révèle une situation préoccupante. Cela veut dire que notre dette publique est supérieure à la valeur totale des biens et services produits par le pays et que le gouvernement devra consacrer une grande partie de son budget au service de la dette limitant ainsi les ressources disponibles pour les dépenses publiques essentielles comme la santé, l’éducation et les infrastructures.
L’autre risque est le défaut de paiement avec comme conséquence la perte de crédibilité auprès des investisseurs institutions internationales. A cela j’ajoute l’impact sur la croissance économique qui sera freinée en raison de la charge de la dette et la possibilité d’augmentation des taux d’intérêt qui déjà étaient hauts.
Vous proposez plusieurs pistes en “quick wins”, notamment la monétisation de la dette via la BCEAO. Ne craignez-vous pas une résistance politique ou institutionnelle de la part de la BCEAO ou du FMI face à une telle orientation ?
Il faut comprendre le principe de la monétisation dans les Quick-Win que je proposais au gouvernement comme solutions rapides pour financer la dette. Les Quick-Win sont des actions rapides à effet positif immédiat si on considère la situation d’urgence du moment.
La monétisation de la dette permettrait au gouvernement de financer rapidement ses dépenses et de rembourser ses dettes. Autres avantages, le gouvernement pourra réduire la charge de la dette en termes de remboursement du capital et des intérêts. Cependant elle peut entrainer une augmentation de la masse monétaire en circulation ce qui peut provoquer une inflation c’est pour cela il sera nécessaire qu’il ait une bonne coordination entre la BCEAO et le FMI. Oui forcément il peut y avoir une résistance au regard des conséquences évoquées plus haut en plus de l’impact sur les taux d’intérêt et sur la stabilité financière. Pour cela une bonne discipline budgétaire et monétaire solide sera plus que nécessaire pour garantir la stabilité financière et promouvoir la croissance économique.
Vous parlez d’erreurs de débutants concernant les maturités très courtes des eurobonds contractés par le Sénégal. Qui doit porter cette responsabilité, et que recommanderiez-vous concrètement au ministère des Finances aujourd’hui ?
La maturité très courte nous expose à un risque de refinancement élevé. A l’échéance, soit on rembourse soit refinancer la dette en émettant de nouvelles obligations avec des coûts d’emprunts plus élevés voir même des difficultés à refinancer cette dette. A cela J’ajoute un risque inutile de pression importante sur les finances publiques et déjouer les objectifs structurants du gouvernement comme le financement de la Sante, de l’éducation et des infrastructures.
Les conseils que je donnerai au gouvernement est qu’il serait préférable d’être dans la diversification de nos sources de financement et opter pour des instruments de dette à long terme. A dette est intergénérationnelle. Nous sommes une jeune nation et devons construire solidement les bases de notre économie. Nous pouvons aller vers une restructuration de la dette en renégociant avec les créanciers pour prolonger les échéances tout en réduisant le taux d’intérêt afin de libérer les ressources pour d’autres priorités. Faire une gestion active de la dette afin de réduire les risques associés par la mise en place d’un cadre de gestion claire et transparente.
Le 1er élément c’est d’avoir une communication transparente et proactive avec les investisseurs sur les raisons du réajustement des engagements et les mesures prises pour améliorer la situation. Ensuite, exposer un plan de réforme économique et budgétaire crédible et solide qui démontrera toute la volonté de restaurer la stabilité financière et promouvoir la croissance. Il sera important de maintenir un dialogue régulier avec les investisseurs pour les tenir informés des avancées, Il nous faudra respecter nos engagements autant que possible et surtout impliquer les institutions du Breton Woods pour davantage renforcer la crédibilité du plan de réforme pour rassurer les investisseurs.
Vous appelez à un retour à “l’orthodoxie budgétaire”. Dans un contexte où les besoins sociaux sont énormes (santé, éducation, emploi), comment trouver l’équilibre entre rigueur et justice sociale ?
Fac à cette situation de surendettement, trouver l’équilibre entre rigueur voire discipline budgétaire et justice sociale devient un impératif et c’est là que nous attendons ce gouvernement. Le pays est en attente mais n’attendra pas éternellement. Il faudra qu’il (le gouvernement) renonce à certains privilèges même si le chemin actuel semble être très loin de ce schéma avec les augmentations des budgets de fonctionnement de la présidence, de l’Assemblée nationale ainsi que de la primature sans compter les recrutements de complaisance Nous sommes entre le marteau et l’enclume.
Cependant il existe des pistes comme je l’ai évoqué en haut avec la priorisation des dépenses publiques en faveur des secteurs les plus vulnérables ainsi que les programmes sociaux qui bénéficient directement aux populations les plus démunies.
Comment analysez-vous la situation politico-judiciaire actuelle du Sénégal, entre libérations récentes, plaintes anciennes, et attentes de rupture ? Le pays est-il sur une voie de normalisation ou d’instabilité ?
La question et la relance se contredisent car nous sommes dans une continuité de qui était dénoncé avant. Entre règlement de comptes, emprisonnement de journalistes, offenses au chef de l’Etat et sous-chef de l’Etat, la gestion par la terreur, etc…jeter le discrédit sur la justice tout cela donne l’impression que rien n’a véritablement changé et que la rupture est « aux abonnés absents ». Le peuple ne mérite pas cela ! Ce genre de situation est ce qu’on peut voir en fin de règne d’un régime en général mais pas pour un nouveau gouvernement. Les promesses ne sont pas à la hauteur des réalisations et le peuple ne peut pas attendre car on l’a apprivoisé pour être exigeant. C’est le serpent qui se mord la queue. Entre promesses et réalités, ce gouvernement fait face à ses propres démons. La conséquence est une inaction fiévreuse et le pays s’en trouve complètement grippé.
Le tandem Diomaye-Sonko a suscité beaucoup d’espoir. Pensez-vous que la priorité actuelle qu’ils accordent à des débats institutionnels soit justifiée, ou qu’elle détourne l’attention des urgences économiques ?
Je vais vous surprendre ce n’est ni l’un ni l’autre. Le pays manque de trajectoire clair ce tandem même est dans la contradiction stratégique quand l’un fait preuve d’ouverture vers l’Europe par exemple, l’autre tend ailleurs ; pas dans une optique de diversification, mais d’opposition silencieuse et d’ego surdimensionné. Je l’ai dit tantôt notre dialogue diplomatique a pris un sacré coup et nous devons y remédier très rapidement. Le populisme ne peut pas triompher dans nos Etas. Il peut aider à accéder aux pouvoirs mais finira par une détestation viscérale. Je suis estomaqué par la situation politico-judiciaire et économique de mon pays. Le Sénégal ne mérite pas ça !
Enfin, seriez-vous prêt à intégrer un comité indépendant de veille économique ou de réforme stratégique si l’État sénégalais vous le proposait ? Et à quelles conditions ?
Je suis déjà dans ce comité à travers ma position d’homme politique leader du parti Pass-Pass, engagé dans la défense de mon pays avec pour seul objectif d’être le prochain président de la République du Sénégal Inchallah. Je n’ai pas besoin de position pour m’exprimer et je suis généreux dans démarche. Je critique et propose des pistes ! Le peuple jugera !
A bon entendeur….