La préservation de l’environnement et la gestion des ressources naturelles nécessitent une considération particulière dans l’élaboration de nos plans, politiques et programmes de développement. Aujourd’hui, la lutte contre les pollutions et nuisances résultant des modes de gestion des déchets constitue un défi pour les communautés. Les impacts des déchets sur l’environnement et la santé deviennent de plus en plus complexes, du fait de l’augmentation et de la diversité des déchets dangereux dont les DEEE.
Les modes de production et de consommation actuels favorisent l’apparition de déchets de type nouveau dont il conviendrait de citer les Déchets d’Equipements Electriques et Electroniques (DEEE) ou e-déchets. Ces déchets sont issus des équipements électroménagers, audiovisuels, bureautiques et informatiques en fin de vie.
La production des e-déchets dans le monde suscite l’alerte du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) qui, déjà en 2005, estimait entre 20 à 50 millions de tonnes par an la production de DEEE dans le monde, avec une croissance annuelle de 3 à 5% dans l’espace Union européenne. Selon le rapport « Global E-waste Monitor 2024 » des nations unies, en 2022, au niveau mondial, 62 milliards de kilogrammes de déchets électroniques ont été produites, soit une moyenne de 7,8 kg par habitant. Cela révèle une augmentation significative de 82 % par rapport à 2010 (34 Millions de tonnes). La production des DEEE va atteindre 82 millions de tonnes en 2030 (GEM, 2024). Cette situation est liée à la courte durée de vie des équipements et à l’obsolescence programmée à laquelle s’adonnent les producteurs.
Les pays industrialisés font l’exportation de matériel de seconde main vers les pays en développement sous forme de dons, à travers des coopérations pour l’intégration des communautés défavorisées dans la société de l’information et la lutte contre la fracture numérique. Cependant, la qualité des équipements, dans certains cas, fait que ce partenariat donne l’image d’un déplacement de la pollution des pays développés vers certains pays en développement.
Le Sénégal s’est résolument projeté dans la lutte contre la fracture numérique. Dès lors, entre 2000 et 2007, selon Wone et Rochât, le flux global de matériel électriques et électroniques entrant au Sénégal avait subi une croissance de 25%. Cette tendance est confortée par les politiques mises en œuvre. Ainsi, le 19 mars 2015, le Chef de l’Etat avait donné instruction au Gouvernement de favoriser le désenclavement numérique du Territoire, en mettant l’accent sur la connexion à l’internet haut débit, l’équipement numérique et informatique des centres de recherche, des universités, des écoles et des établissements d’enseignement et de formation professionnelle, ainsi que la réalisation d’espaces numériques ouverts, à travers la Stratégie « Sénégal Numérique 2025 ». Cette stratégie avait comme but de servir de catalyseur à la modernisation de l’économie et à l’amélioration de la compétitivité. Dans la même dynamique, le basculement de notre pays de l’analogique au numérique, il y’a une dizaine d’années, témoigne de l’évolution du secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) et de la volonté politique des gouvernants. Conscient des enjeux du numérique, le 24 février 2025, le Chef de l’Etat a lancé officiellement le New Deal Technologique, une initiative stratégique de 2025 à 2034, visant à renforcer la souveraineté numérique et l’inclusion pour transformer le pays en un hub numérique de référence en Afrique.
Il est évident que ces initiatives engendrent l’utilisation de plus en plus importante d’équipements divers, dont la gestion des déchets qui en résultent n’est pas jusque-là bien assurée dans notre pays, et constitue un défi majeur.
En 2022, il y’avait seulement 22,3 % (13,8 milliards de kg) des DEEE produits, qui étaient collectés et recyclés de façon appropriée. L’Afrique avait le taux de collecte et de recyclage le plus bas, avec moins de 1 % des déchets électroniques générés, contrairement à l’Europe qui avait le taux de collecte et de recyclage approprié le plus élevé, 42,8 % (Global E-waste Monitor, 2024).
Le recyclage des DEEE peut contribuer à la promotion de l’économie circulaire pour un développement durable. En effet, les DEEE contiennent, d’une part, des matériaux à forte valeur ajoutée (indium, palladium, or, cuivre, argent, etc.) et d’autre part, des composants dangereux (métaux lourds, Retardateurs de flammes, etc.) (UNEP, 2009). Par exemple, le plomb (Pb), le Mercure (Hg) et le Cadmium (Cd) contenus dans certains équipements sont cancérigènes et peuvent s’attaquer au système nerveux, aux os et à des parties sensibles de l’organisme (Zhao et al., 2008).
Le stockage anarchique, la mise en décharge et les méthodes artisanales de recyclage des e-déchets utilisées au Sénégal s’effectuent dans des conditions non appropriées, et les dommages sur la santé et l’environnement sont réels. En titre d’exemple, en 2008, dans la banlieue de Dakar (Thiaroye), du fait de l’activité de recyclage des batteries à plomb, une corrélation a été faite entre le niveau d’exposition au plomb particulièrement élevé et le décès d’au moins dix-huit (18) enfants dans la zone (OMS et MEPN, 2008).
L’incinération incontrôlée des composants des DEEE contenant des retardateurs de flammes favorise des émissions de dioxines et de furanes, des polluants organiques persistants, qui affectent le système immunitaire, le cerveau et la fonction de reproduction (Chan et Wong, 2012).
Cependant, le niveau de prise de conscience de la toxicité des DEEE est relativement faible. Plus de 60% des acteurs interviewés dans le cadre de nos recherches notamment, les distributeurs, les ménages, les utilisateurs professionnels, les recycleurs et les réparateurs ignorent les impacts négatifs sur l’environnement et la Santé liés aux composants desdits déchets (Dieng, 2017 ; Diop et Thioune, 2014).
En outre, les informations recueillies auprès de ces acteurs, complétées par celles collectées au niveau des services techniques de gestion des déchets, des services de contrôle des importations (douanes) dans les régions, des collectivités territoriales et des récupérateurs, montrent l’engouement autour des DEEE. Leur gestion offre des opportunités de création d’emplois, si elle est bien encadrée (Dieng, 2010). Dans nos quartiers, des réparateurs gagnent des revenus dans le cadre de la maintenance et de la réparation d’équipements livrés par les utilisateurs professionnels et les ménages. Du fait qu’un acteur peut effectuer ce travail sans faire beaucoup de déplacement, ce secteur peut mobiliser des personnes vivant avec un handicap et favoriser l’insertion et l’inclusion sociale. La vente des composants plastiques ou métalliques et les cartes électroniques des DEEE offre des revenus aux acteurs.
Par ailleurs, à travers les composants des e-déchets, la conception de tableaux d’art révèle les multiples usages dont ces déchets peuvent faire l’objet.
Les enjeux environnementaux des DEEE sont liés aux quantités importantes de matières premières utilisées dans la fabrication d’équipements électriques et électroniques, mais aussi aux pollutions et nuisances qui résultent des équipements obsolètes.
Eu égard aux enjeux socio-économiques et environnementaux des e-déchets, le Sénégal, engagé dans la révolution numérique, fait face au défi de l’organisation de la filière de gestion des équipements obsolètes, de l’information des populations et de la mise en place d’un cadre juridique et institutionnel approprié et spécifique à la prise en charge de ces types de déchets.
Le succès de ces initiatives est tributaire de leur appropriation par les populations et de la contribution des divers acteurs. Au Sénégal, les e-déchets sont mélangés aux autres types de déchets ménagers. Le consentement à payer par les ménages montre que 55,4% de l’effectif de 1504 enquêtés sur le territoire national, dans le cadre de nos recherches, sont prêts à supporter le coût du traitement des DEEE, à travers une contribution financière. Par ailleurs, les distributeurs pourraient procéder à la reprise des équipements obsolètes des utilisateurs pour participer à l’effort de collecte sélective des e-déchets. La formation et la reconversion des acteurs de l’économie circulaire permettraient d’encadrer leur activité pour mieux tirer profit de la gestion des déchets électriques et électroniques. L’organisation de la filière de gestion des e-déchets nécessite :
la mise en place d’infrastructures de recyclage des DEEE ;
la traçabilité et la disponibilité de données sur les e-déchets ;
l’application de la Responsabilité Elargie du Producteur (REP) selon laquelle, le producteur est responsable de la gestion des déchets ;
la disponibilité de fonds incitatifs par l’Etat et la contribution du secteur Privé à travers la Responsabilité Sociétale d’Entreprise (RSE) ;
le payement d’une éco-contribution par les consommateurs basé sur le consentement à payer ;
la mise en place d’un cadre juridique et institutionnel spécifique aux DEEE ;
l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie de communication pour le changement de comportement, nécessaire pour la collecte sélective et le recyclage des e-déchets.
Dans l’ère du numérique, le Sénégal devrait travailler à asseoir une transition numérique responsable ; encadrer les pratiques de recyclage ; circonscrire et maîtriser les impacts sur l’environnement et la santé liés aux composants des e-déchets ; et élaborer une Stratégie nationale de gestion des Déchets d’Equipements Electriques et Electroniques, en cohérence avec les objectifs du New Deal Technologique.
Docteur Diomaye DIENG, Chimiste Environnementaliste,
Enseignant Chercheur à l’Institut des Sciences de l’Environnement (ISE)
Faculté des Sciences et techniques
UCAD.
Email : diomaye.dieng@ucad.edu.sn
