Enfin ! Le Grand Théâtre National du Sénégal a tranché.
Pas dans sa ligne artistique. Ni dans la question des cachets impayés, ni dans la programmation atone, ni dans l’état de ses fauteuils fatigués ou de ses rideaux défraîchis. Non. L’institution culturelle la plus prestigieuse du pays a identifié son ennemi intérieur : les greffages, les perruques, les faux cils et la dépigmentation.
La mèche brésilienne est donc désormais le fléau à combattre. Ce n’est pas la rareté des créations originales, ni la précarité des artistes, ni la lente asphyxie du théâtre populaire. Non. Le danger est capillaire. L’urgence est pigmentaire. La priorité est esthétique — mais seulement en surface.
Et pourtant, des spectacles y sont organisés. Des concerts, des événements privés, des galas — le Grand Théâtre n’est pas vide. Il vit… de bruit, de lumière et de location. On programme, oui, mais on ne réfléchit pas. Pas le temps de penser une politique culturelle. Pas le temps pour un vrai projet artistique. Trop occupé à scruter les perruques dans les couloirs.
Et quelle audace ! Oser enfin faire front contre la dépigmentation… pendant que les artistes croupissent dans l’indifférence, pendant que la scène se vide, pendant que la culture, partout ailleurs, s’invente au contact du numérique, de la jeunesse, des périphéries. Ici, on innove : on inspecte les crânes.
On s’attend presque à voir fleurir un concours d’entrée dans la fonction culturelle sur la base du cuir chevelu :
— 0 point pour les mèches,
— 2 pour le naturel,
— 5 pour le “muntu esthétique” agréé par commission capillaire.
Mieux encore : pourquoi ne pas instituer un poste de Directeur général de l’hygiène ethno-capillaire et de la mélanine harmonisée ? On ne subventionne pas plus de créations, mais on contrôle mieux les perruques.
Et pendant que les scènes du monde s’ouvrent à l’intelligence artificielle, aux arts numériques, à la circulation des œuvres, que fait notre Grand Théâtre ? Il scrute les cheveux et surveille les peaux. Une révolution esthétique, sans esthétique. Une vision sans imaginaire.
Le plus extraordinaire dans cette séquence, c’est que la note administrative était bien réelle. Rédigée, signée, cachetée, estampillée “urgence image”. L’image avant le fond. Le paraître avant le projet. Le cheveu comme boussole institutionnelle.
Heureusement, sous la pression d’un tollé légitime — entre rires jaunes et colère noire — la direction a fini par retirer la note. Trop tard pour la dignité, juste à temps pour le recul stratégique. On retire la perruque du scandale, mais on garde l’odeur du ridicule.
Car au fond, le théâtre est un lieu de vérité. Et ce qu’on nous donne à voir ici, c’est une vérité gênante : quand la culture n’a plus de politique, elle devient policière.
Moralité ? Laissez tomber les textes, les scènes, les idées. Occupez-vous de vos racines.
Le théâtre est mort. Vive le cuir chevelu.