« La richesse de la liberté est si immense qu’il semblerait que l’eau des prisons n’est pas sous la formule H2O … ». Les statistiques du rapport de l’administration pénitentiaire rendu public semblent insensibles à cette remarque de PORTALIS.
En effet selon ce rapport, 46,65% des détenus attendent désespérément d’être présenté devant un juge. Malgré les discours vigoureux et les professions de foi sonores, nous constatons avec âpreté que les longues détentions provisoires mettent en surface les pages les plus sombres de notre système judiciaire. Le patron de l’UMS le magistrat TELIKO en dehors de la défense des intérêts matériels et moraux de la corporation nous avait promis un combat pour l’indépendance de la justice. Il est temps monsieur le président que ce « syndicat des magistrats » rémunéré généreusement par le contribuable sénégalais se mette au service de ces derniers. La détention provisoire parfois très longue est une des priorités parmi les innombrables doléances pour une meilleure administration de la justice. Avec ce tares qui gangrène l’appareil judicaire, les juges d’instruction seront au banc des accusés car étant pour la plus part des « distributeurs automatiques de mandat de dépôt » bien que dans certain cas il est obligé soit sur ordre de la loi ou à la demande du procureur mais comme le rappelait V. Hugo « Le premier devoir d’un magistrat est d’être juste avant d’être formaliste »
Une observation lucide de notre code de procédure pénal peut nous conduire à conclure que la détention est toujours préventive, en dépit de l’évolution sémantique dudit code, les articles 139 et suivant sont assez illustrateurs. Même si le juge d’instruction ne l’estime pas nécessaire, il y a des cas, il est tenu de placer l’inculpé sous mandat de dépôt soit par la volonté du législateur (articles 140 et 141 du code de procédure pénal lui oblige de mettre sous mandat de dépôt les inculpés de détournement de denier public si la somme est supérieur à 1 million il en est ainsi des infractions douanière art 344 code des douanes) ou sur une réquisition dûment motivé par le procureur ( art 255 CPP des infractions comme trahison d’espionnage, attenta, crimes tendant à troubler l’Etat…).
La conjonction de ces facteurs défavorables constitue les racines du mal et à cela s’ajoute l’absence de délai d’instruction en matière criminelle. Si l’inculpé est poursuivi pour crime, malgré la présomption d’innocence, il peut être en détention 20 ans sans jugement car aucun délai n’est fixé au juge d’instruction. c’est pourquoi la criminalisation récente du viol et de la pédophilie ne fait que complexifier l’affaire sur cet angle la loi LATIF GUEYE est une illustration parfaite.
Si c’est en matière délictuelle, l’application de l’art 127 bis Code de procédure pénale pourrait désengorger les prisons. Selon ce texte si la peine d’emprisonnement encouru est inférieur à 3 ans, la détention ne peut pas être plus de 5 jours après sa première comparution s’il est domicilier au Sénégal et s’il est domicilier au ressort du tribunal compétent, il ne doit pas être en détention. De façon générale en matière délictuelle, la détention ne peut pas excéder 6 mois. Ces dispositions précitées sont souvent violées et cette violence emporte ainsi l’accroissement des détenus en attente de jugement.
Il faut tout de même reconnaître que les réformes de 2008 et de 2014 ont apporté des améliorations.
LA LOI 2008-50 DU 23 SEPTEMBRE 2008
Au-delà de l’instauration du double degré de juridiction en matière criminelle, l’amorce de la lutte contre les longues détentions provisoires résulte essentiellement de cette loi à travers la réécriture de l’art 72 du code de procédure pénal. En vertu de ce texte, le juge d’instruction n’est plus dans l’obligation de procéder à une enquête de personnalité. Cette phase de la procédure retardait de manière outrancière la clôture de l’instruction. L’enquête de personnalité devenue ainsi facultative, le juge d’instruction pourra accélérer la procédure donc et par conséquent alléger les longue détentions provisoire. Sur d’autre aspect cette innovation peut faire l’objet de discussion car dans notre système judicaire à la différence des anglo-saxons, ou la personnalité du délinquant n’intervient que pour le choix de la peine, nous « on juge l’homme et non les faits »
L’autre innovation en faveur de l’éradication des longues détentions provisoire c’est la révision de l’art 175 du code de procédure pénal qui supprime de double degré d’instruction. Cet article dispose : « si le juge d’instruction estime que les faits incriminés constituent un crime, il rend une ordonnance de renvoi devant la chambre criminelle». De ce fait la chambre d’accusation n’est plus un passage obligatoire pour la saisine de la juridiction criminelle.
LA LOI 2014-28 DU 03 NOVEMBRE 2014 ET LA LOI 2014-26
La combinaison de ces lois va dans le sens de lutter contre les longues détentions provisoires. La première supprime les cours d’assises et les remplace par des chambres criminelles au sein de chaque tribunal de grande instance et chaque cour d’appel. La seconde abrogeant la loi 84-19 du 2 février 1984 sur l’organisation judiciaire (voir à ce propos le tableau n° 2 du projet de décret réformant celui de 84-1195 du 22 octobre 1984 portant aménagement de l’organisation judicaire). Cette simplification rend la justice un peu plus rapide afin de juger les détenus dans un délai raisonnable.
En dépit de ces réformes qui ne sont pas de moindre envergure, le teigneux problème des longues détentions subsiste. Comme pour reprendre M. Planiol « Dans bien des cas, une réforme n’est que le remplacement d’inconvénients anciens, que tout le monde connaît, par des inconvénients nouveaux, qu’on ne soupçonne pas encore, et dont la pratique révèle ensuite la nature et l’étendue »
Pour mieux garantir les libertés individuelles, n’est-il pas nécessaire de décharger le juge d’instruction (en charge de l’enquête) et le procureur (maître des poursuites) de leur prérogative de placer sous mandat de dépôt et de s’inspirer de la loi Française 2000-1354 du 30 décembre 2000 avec la création du juge des libertés et de la détention qui apprécies souverainement de l’opportunité de mettre en détention ou non. Dans nos pauvres systèmes marqués par le mimétisme juridique de constat est qu’on ne reproduit jamais les bonnes choses.
Le personnel de la justice déficitaire est aussi un problème très sérieux. L’assistance d’un avocat qui est une obligation en matière criminelle, ces derniers sont en manque et e couvre pas l’intégralité du territoire national. Il en est de même des magistrats qui malgré double le nombre des avocats le Sénégal en manque paradoxalement avec les milliers de jeunes diplômés chômeur en droit.
Le juge Julien Ndour, dixit lors d’un panel sur les longues détentions préventives «…les dossiers sont en souffrance dans nos bureaux, parce qu’il y a trop de détention et peu de juge»
La précarité flagrante de nos univers carcéraux indigne du XXe siècle ne rime pas avec une détention provisoire si longue surtout si la victime de cette privation de liberté est présumée innocente ou alors on nage dans un océan de paradoxe où la liberté devient l’exception et la prison le principe ?
NDLR: Cette analyse lance une enquête grand format que le D221 promet à ses internautes sur ses supports Radio-TV dans un futur proche…..
PAPE MOUSSA SOW
DOCTORANT EN DROIT UCAD
Ledakarois221.com