Affaire dite des “bateaux fantômes” : une humiliation pour l’expert, un précédent dangereux pour la République
Il est des actes qui ne peuvent passer sous silence, tant ils interrogent la solidité de notre État de droit et la considération que la République accorde à ses propres lois. L’interpellation brutale de Me Mohamadou Moctar FAYE, expert fiscal et conseil juridique, membre dûment inscrit de l’Ordre National des Experts du Sénégal (ONES), dans le cadre de l’affaire dite des « bateaux fantômes », constitue une atteinte grave à l’indépendance des professions libérales, à l’honneur de notre Ordre, et plus largement à l’intelligence technique de notre démocratie.
- Une arrestation injustifiable
Me FAYE, en mission officielle pour le Cabinet international Baker McKenzie, lequel est le Conseil direct du client concerné , agissait strictement dans le cadre d’un mandat d’expertise fiscale.
Alors pourtant qu’il a décliné son identité aux enquêteurs et précisé la qualité en laquelle il a répondu à la convocation reçue , Il a pourtant été interpellé, menotté et exposé à une humiliation publique par des agents de la Division des Investigations Criminelles (DIC), avec l’appui de l’Administration des Douanes, sur instruction du Parquet Judiciaire Financier ; dans le régime d’un retour de Parquet il a passé une nuit entière à la Police.
Une scène d’une extrême gravité, d’autant plus absurde qu’elle visait un professionnel qui ne faisait que son travail.
Une scène également humiliante et source de toutes les ambiguités comme en atteste la une du journal Libération du 24 juillet 2025, qui l’intègre à une prétendue “mafia” de 845 milliards, sans discernement, ni respect du droit.
2.Que dit la loi ?
Le Décret n°2020-2421 du 31 décembre 2020, pris pour l’application de la Loi n°2017-16 portant création de l’ONES, est pourtant explicite :
Article 8 – Chapitre III : Des Attributions des Experts (Section 1 : Expertise fiscale)
« L’expert fiscal dûment inscrit au tableau de l’ONES est autorisé à réaliser les missions ci-après :
— assistance fiscale ;
— conseil fiscal ;
— révision et audit fiscal ;
— représentation auprès de l’administration fiscale ;
— expertise et représentation auprès des institutions publiques et parapubliques ;
— assistance et conseil juridique en matière fiscale. »
Il ne fait donc aucun doute que Me Mouhamadou M. FAYE intervenait dans les strictes limites de la légalité.
En tant que Conseil fiscal il n’est pas un employé ni un dirigeant de son client , et ne peut donc pas être recherché , ni pénalement , ni civilement , pour les faits reprochés à son client , ce qui rend son arrestation absolument injustifiable.
3.L’indépendance de l’expert : un principe fondamental
À cela s’ajoute une violation flagrante du Code des devoirs professionnels de l’ONES, notamment :
Article 2 – Exercice de la profession
« L’expert est rigoureusement indépendant vis-à-vis des administrations publiques ou des organisations politiques ou professionnelles. Ses travaux, rapports, avis ou conclusions ne doivent jamais être influencés par l’opinion ou les conseils d’un fonctionnaire, homme politique, représentant de syndicat ou notabilité quelconque. »
Cette disposition consacre l’indépendance de l’expert comme un principe cardinal de la République, au même titre que le secret professionnel pour l’avocat ou l’impartialité pour le juge. La violer, c’est porter atteinte au fondement même de l’expertise professionnelle.
- Une défense exemplaire, un classement sans suite… mais un précédent inacceptable
Grâce à l’assistance efficace du Cabinet François Sarr et Associés, notamment en la personne de Me Moustapha FAYE, avocat associé, Me Mouhamadou M. FAYE a fini par être libéré. Le Parquet a classé l’affaire sans suite le concernant , reconnaissant implicitement l’inanité des soupçons ou accusations portés sur sa personne
Mais ce classement ne suffit pas à effacer l’humiliation subie, ni à réparer l’atteinte institutionnelle portée à l’indépendance des experts. Car ce qui est en jeu dépasse la personne de Me Mouhamadou M.FAYE : c’est l’ensemble des professions libérales qui, désormais, ne sont plus à l’abri d’abus d’autorité ou d’ignorance des textes.
5.Une confusion regrettable entre recettes publiques et libertés professionnelles
Nous comprenons l’impératif des objectifs de recettes assignés aux Régies Financières, dans un contexte budgétaire tendu. Mais cela ne saurait justifier des pratiques d’intimidation ou la criminalisation de professionnels accomplissant des missions légales.
L’efficacité budgétaire ne peut, en aucun cas, se faire au détriment du droit à l’exercice libre, indépendant et digne des professions réglementées.
6.Une alerte adressée à la République
Il faut rappeler, avec gravité, que le Premier Ministre Ousmane SONKO est lui-même expert fiscal inscrit à l’ONES. Cet épisode impose une introspection institutionnelle, mais surtout des mesures correctives immédiates :
•Formation obligatoire des officiers de police judiciaire, magistrats et douaniers sur le statut et les garanties de l’expert ;
•Mise en place d’un protocole d’intervention spécifique et respectueux des règles déontologiques ;
•Dialogue structuré entre les Ordres professionnels et les organes d’enquête pour prévenir les dérives.
7.En conclusion
Ce qui est arrivé à Me Mouhamadou M. FAYE ne doit plus jamais se reproduire. L’expert fiscal n’est ni un auxiliaire de fraude, ni un adversaire de l’État, mais un acteur central de la régulation économique et juridique.
Ce combat dépasse les personnes et les fonctions. Il est celui du respect des lois, de l’indépendance intellectuelle, et de la crédibilité de l’État de droit.
Me Saliou DIEYE
Expert Fiscal – Mandataire Judiciaire
Président de l’Ordre National des Experts du Sénégal (ONES)