Ma réaction à la sortie du Pr Gallo Diop sur la fuite des cerveaux de la santé.
MASSIVE BLEEDING !
Si vous pensez qu’il y a une saignée, attendez-vous à une hémorragie massive. En France, la voie royale pour des praticiens hospitaliers à diplôme hors Union européenne ( PADHUE) est le concours (EVC = épreuves de vérification des connaissances) qui permet d’accéder à une autorisation de plein exercice aux médecins, souvent venant d’Afrique noire et du Maghreb.
À mon avis, c’est le concours le plus difficile en France, vu le nombre de candidats, de postes ouverts et de lauréats. Exemple vous avez pour la médecine intensive et réanimation, une quarantaine de postes pour toute la France, sur un nombre de parfois plusieurs centaines. Cette année il y a eu 29 lauréats. Vous avez par exemple moins de 200 postes en médecine d’urgence pour plus de 2000 candidats.
Avant, c’était les maghrébins qui étaient en nombre, ils le sont toujours, 3000 candidats pour certaines spécialités, 2000 pour d’autres, pour parfois moins de 100 postes ouverts. C’est la première fois cette année que j’ai vu beaucoup de médecins sénégalais se présenter en nombre, et surtout être lauréats de ce concours. Certains déjà en France mais, fait inédit cette année, d’autres sont venus directement du Sénégal concourir et être lauréats. Donc, ils vont s’y mettre de plus en plus et réussir le concours.
Dans certains départements sous tension, on les fait venir avec leurs familles, on leur paye les billets, les loge pendant un mois et on leur assure une véhicule. Ils sont accompagnés dans leurs démarches administratives, pour ouvrir leur compte, trouver un logement, inscrire leurs enfants, faire un prêt et acheter leur véhicule.
En dehors de cette filière, d’autres arrivent, sont jugés sur leurs compétences, présentent un dossier de demande d’autorisation de plein exercice et l’obtiennent. Dans tous les cas, ces médecins sont certes moins bien traités financièrement au début, mais une fois alignés, sont logés à la même enseigne que tous les médecins exerçant en France.
Sur le plan de la carrière, en deux ans ils consolident leurs parcours. La troisième année ils se présentent au concours national des praticiens hospitaliers et le passent facilement. Tout praticien, a une obligation de formation médicale continue, encadrent des internes et donc publie énormément. Au bout de trois ans, ils peuvent se présenter à l’habilitation à diriger des recherches (HDR) à la fin de leur troisième année, ils peuvent postuler comme maître de conférence des universités (MCU) puis comme professeur des universités praticien hospitalier (PU-PH). Personne n’exige d’eux d’être des anciens internes ou quoi que ce soit.
En France, il y a une structure qui s’appelle le CNG (Comité national de gestion) qui gère tout cela, les concours, les coaching et les carrières, pas besoin d’être fils de ou nièce de… Tout le monde est sur la même ligne de départ avec un arbitre impartial qui ne connaît personne.
Je ne parlerai pas des revenus, ce serait indécent, ni des conditions de travail, ni de la protection sociale du travailleur et de sa famille, ni du cadre de vie, ni de la reconnaissance et du respect donnés au médecin. Il n’y a qu’au Sénégal qu’on ne sait pas qu’un medecin a plus de valeur que toutes les pièces précieuses réunies.
Tout n’est pas rose pour tout le monde, c’est clair. Certains vont rencontrer des difficultés diverses et variées, mais globalement, voilà comment ça se passe. Et généralement, la perte est double parce que les soignants sont très souvent mariés à des soignants. Ce que je constate, c’est que lorsqu’un soignant se déplace, il amène son conjoint soignant avec lui.
Nos universités, leurs programmes pédagogiques et leurs visions dans le domaine des sciences de l’éducation sont obsoletes. Les enseignants qui y officient dans leur majorité sont dépassés et totalement fermés à toutes velléités de réformes de l’espace universitaire, les plus jeunes d’entres étant les pires sur ce point. Nos autorités etatiques sont sourds aveugles et muets, à commencer par nos deux ministères de tutelle : Le ministère de la santé et le ministère de l’enseignement supérieur.
Ce que le Pr. Diop dit dans sa sortie du jour, ça fait des années que nous lançons ce type d’alerte. Alors si vous pensez qu’il y a une fuite des cerveaux, c’est que vous n’avez pas idée de ce qui arrive. Ce que vous voyez là, c’est un petit saignement sur le plus petit des doigts. C’est une hémorragie massive qui est en route et dans pas très longtemps. Je pense, à l’heure actuelle, qu’il est maintenant trop tard.
J’ai parlé de la France, je n’ai pas parlé du Canada, de la Belgique, du Luxembourg ni de la Suisse. Je n’ai pas parlé non plus des paramédicaux : Infirmiers, sage-femme, ou autres. Il faudra, sur d’autres bases et critères, s’engager à former une autre génération de médecins qui restera au Sénégal, celle-ci ne restera pas. C’est triste de le dire ainsi et c’est dur de l’entendre, mais c’est ça la réalité.
Dr. Boubacar Signate.
