Ledakarois221- C’est le premier numéro de l’année 2020 de votre rubrique «Les Jeudis de l’Economie». Dans cet entretien exclusif, le Directeur Général de l’Office national de l’assainissement du Sénégal (ONAS), Lansana Gagny Sakho, aborde les grands projets structurants en matière d’assainissement qui vont changer les conditions de vie des Sénégalais et des villes sénégalaises. Pays modèle en matière d’assainissement, le DG de l’ONAS explique pourquoi le Sénégal fait des émules dans la sous-région.
Quel est l’état des lieux de l’assainissement au Sénégal ?
L’assainissement au Sénégal actuellement, c’est plus de 300 milliards de FCFA d’investissement avec une très bonne répartition spatiale dans les villes et le monde rural. Le Sénégal est un pays modèle et leader en Afrique Saharienne dans le domaine de l’assainissement. Cette avancée significative se justifie par une très forte volonté politique durant ces vingt dernières années pendant lesquelles l’Etat du Sénégal a consacré beaucoup d’argent pour améliorer le cadre de vie des populations. En 2021, Dakar va organiser le Sommet mondial de l’eau qui confirme naturellement la forte place du Sénégal en Afrique. Au niveau africain, c’est également le directeur général de l’Onas qui est le vice-président de l’Association africaine de l’eau. Dernière point, l’assainissement au Sénégal, c’est également un projet très important, innovateur, financé par la fondation Bill et Melinda Gates, dénommé projet de structuration des marchés. En résumé, l’assainissement au Sénégal, c’est une forte volonté politique avec des avancées significatives.
Vous avez engagé beaucoup de travaux d’assainissement à Dakar. Où en êtes-vous ?
Nous avons engagé beaucoup de travaux parce que les défis sont énormes. Le premier défi est l’urbanisation galopante, le second, la forte croissance démographique qui n’est pas propre au Sénégal mais à tous les pays africains. À propos des chantiers les plus importants, il y a la station d’épuration de Cambérène qui va passer de 20 M3 à 90M3/jour. Ce qui va permettre de régler beaucoup de problèmes à Dakar. Il y a le projet de la dépollution de la baie de Hann, celui des 10 villes et celui du renouvèlement des réseaux des quartiers de la Medina, de la Gueule Tapée et de Dakar-Plateau. Nous avons le premier projet d’assainissement des eaux usées dans la région de Ziguinchor. Le tout pour un portefeuille de plus de 250 milliards de FCFA. D’autres projets sont en cours.
Quels sont les difficultés liées à l’assainissement ?
Nous rencontrons d’énormes difficultés en matière d’assainissement notamment à Dakar. Par exemple, la Médina est dotée de réseaux qui datent des années 60. Idem pour la Sicap, lequel a un réseau qui remonte aux années 70. Dans d’autres communes comme à Keur Massar où la ville grandit vite, c’est l’urbanisation qui pose problème. Les gens habitent sans plan d’assainissement. À Mbao et à Bambilor, il n’y a pas de réseau d’assainissement. Donc, c’est plus un problème d’urbanisme qui engendre son lot d’inondations. Mais on ne peut pas résumer l’assainissement à la lutte contre les inondations. Je pense qu’il faut avoir une approche beaucoup plus globale et holistique. L’assainissement, ce sont et les eaux usées et les eaux pluviales. Donc, c’est plus un problème d’urbanisme qui a comme conséquence des problèmes d’inondation. Mais on ne peut pas résumer l’assainissement à la lutte contre les inondations. Non (il insiste). Je pense qu’il faut avoir une approche beaucoup globale. L’assainissement, ce sont les eaux usées et les eaux pluviales.
Quelles solutions préconisez-vous?
Il faut avoir une approche novatrice, si on veut régler les questions liées à l’assainissement, des réponses adaptées. Certes, il y a des avancées significatives dans le domaine de l’assainissement depuis 2012. Je rappelle simplement qu’il y a près de 10 ans, quand il pleuvait, les gens étaient logés à la Foire de Dakar ou dans les écoles durant des mois. Il n’y a plus ça aujourd’hui. Maintenant, on doit travailler à renforcer l’éducation, à expliquer aux gens l’importance d’un bien public. Tout cela repose sur un travail de pédagogie sur lequel nous nous sommes engagés. Nous avons un énorme problème de comportement qui dépasse le cadre de l’assainissement. Et la pandémie de la Covid-19 a démontré que nous avons un gros problème d’éducation. De façon globale, il y a un problème d’éducation et de comportement des populations. Mais, l’Onas ne se lasse pas pour expliquer aux gens l’importance d’entretenir les ouvrages d’assainissement qui ne sont pas des ouvrages de l’Onas mais celles des Sénégalais.
Où en êtes-vous avec le projet des «10 villes» ?
Ce projet est à un taux d’avancement de près de 70 %. C’est un projet de 70 milliards de FCFA financé par la BOAD (Banque ouest-africaine de développement). Le projet concerne 10 villes dont certaines n’ont jamais eu un système d’assainissement comme Kaolack, Touba, Tambacounda, Matam, Tivaoune et Cambérene. À propos des villes comme Rufisque, Saint-Louis, Louga et Pikine, les plans d’assainissement sont renforcés.
Vous avez signé avec des partenaires pour le démarrage de la dépollution de la Baie de Hann. Qu’en est-il exactement ?
Ce projet est l’aboutissement d’une procédure qui a duré 20 ans. Je pense qu’on est arrivé au bout. La baie de Hann est une zone qui regroupe près de 80 % des industries du Sénégal avec plus de 500.000 personnes qui sont exposées aux maladies à cause de la pollution. C’est le projet le plus complexe que l’Etat du Sénégal ait eu à dérouler. C’est un projet fabuleux. Quand je suis arrivé à l’Onas en Octobre 2017, mon rêve était de réussir à finaliser ce projet parce que, pour moi, il n’y a pas de plafond de verre qui vous empêche d’avancer. La situation est toute autre actuellement. Toutes les entraves sont levées. Près de 80 % des impenses dues aux riverains ont été payées. Ce projet présente quelques défis : les industriels qui doivent mettre à niveau leurs ouvrages de traitement. Aujourd’hui, les rejets se font directement. Le projet est tellement bien structuré que dans sa mise en œuvre, nous travaillerons avec l’Agence française de développement (Afd) pour trouver les moyens d’accompagner les industriels à travers un fonds spécifique pour qu’ils mettent à niveau leurs ouvrages d’assainissement.
Le Sénégal atteindra-t-il les objectifs du développement durable dans ce sous-secteur ?
Je pense qu’on n’atteindra pas les ODD parce que l’écart est abyssal. Aucun pays africain n’atteindra les objectifs du développement durable dans ce sous-secteur. Certes, nos gouvernements sont en train de fournir beaucoup d’efforts pour renverser la tendance. L’objectif n’est plus d’atteindre les ODD mais travailler vers une tendance à rattraper le gap. Les ODD, c’est d’ici à 2030, dans 10 ans. C’est très court. Mais le Sénégal est très en avance sur plusieurs pays africains. Il faut sortir du pays pour se rendre compte des efforts colossaux fournis par le gouvernement du Sénégal. Dans bon nombre de pays africains il n’y a pas grand-chose. En Afrique, nous sommes un pays modèle en matière d’assainissement. Et c’est la raison pour laquelle la Fondation est venue expérimenter le système sénégalais.
Quelles appréciations faites-vous de la récession économique en cette période de pandémie de Covid-19 ?
Cette pandémie est une grosse opportunité pour que l’on se remette fortement en question. Si après cette pandémie, nous continuons à fonctionner avec les mêmes références, c’est que l’Afrique n’aura absolument rien compris. Sur le plan économique, nos pays ont des défis majeurs. Nous sommes des micros-États. Le Sénégal, à lui seul, ne peut absolument rien faire. 14 millions d’habitants, c’est l’équivalent de la population de la ville de Kinshasa. On doit aller dans les grands ensembles. C’est la première condition. L’UEMOA fonctionne correctement, mais il faut qu’on travaille dans une véritable intégration de l’économie africaine. L’intégration économique doit commencer par l’intégration des peuples. C’est à ce niveau qu’on doit commencer. C’est le premier défi pour nos pays. Le second défi -le plus important- demeure l’exploitation de nos produits pétroliers. Nos pays passent leur temps à exporter leurs matières premières. Il faut qu’on travaille dans une logique de structuration de nos économies pour qu’on puisse produire sur place des produits à très forte valeur ajoutée. Il ne faut pas se faire d’illusions, la bataille de l’économie, on la gagnera quand on arrivera à être compétitif. Etre compétitif signifie quoi : il faut qu’on revoie notre relation avec le travail. Quand on ne travaille pas dans le contexte actuel de la mondialisation où les plus faibles sont appelés à mourir, on n’arrivera absolument à rien. L’Afrique représente 2% du commerce international. Si l’Afrique arrêtait de fonctionner, on ne s’en rendrait même pas compte au niveau mondial. La Corée du Sud avait le même niveau de développement que la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, le PIB de la Corée du Sud est plus important que le PIB de toute l’Afrique réunie. Qu’est ce qui s’est passé en 50 ans ? La Corée du Sud a copié le modèle qui existait avant et elle s’est mise au travail dépassant les autres. Aujourd’hui, c’est le Vietnam qui est en train d’émerger et tous les pays de l’Asie du Sud-Est. La seule différence entre nous, c’est la valeur qu’ils donnent au travail. La Malaisie a le même climat que la Côte d’Ivoire, avec une population de 15 millions d’habitants comme le Sénégal. Ce pays exporte 90% de ses matières premières transformées. C’est là où se situe le gros problème pour nos pays. Il faut miser sur l’éducation et le travail, c’est la chose la plus importante.
L’assainissement est-il un secteur porteur d’emplois ?
Evidemment ! L’assainissement est un secteur porteur d’emplois. C’est pour cela qu’il faut enclencher cette révolution de l’assainissement. On ne peut pas continuer à faire ce qu’on faisait depuis très longtemps. Le secteur le plus porteur d’emplois est celui de l’assainissement autonome. Aujourd’hui nous avons intégré le secteur privé dans le domaine de l’assainissement par une délégation de service public. Le secteur privé arrive facilement à créer beaucoup plus d’emplois. C’est un secteur porteur d’emplois mais la bataille est d’en faire un secteur prioritaire qui pourrait bénéficier de taxes et de facilitations douanières. C’est un secteur pourvoyeur d’emplois.
Quelles solutions préconisez-vous face au chômage des jeunes ?
Il y a 200 000 jeunes qui arrivent dans le marché de l’emploi et le secteur formel n’en prend pas plus de 30 000. C’est ça la réalité. Aucune économie au monde ne peut soutenir dans la durée la croissance démographique que nous avons. C’est le premier palier qu’il faut régler : la croissance démographique. Nous sommes d’abord des pays pauvres, avec une croissance démographique exponentielle qu’on ne peut pas contenir. L’Afrique noir est le seul continent qui a des taux de croissance démographique aussi élevés. Le deuxième problème est l’éducation. La Covid-19 a permis de montrer des talents de jeunes ingénieurs qui ont créé des choses fabuleuses. Mais cela ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Regardez les jeunes diplômés qui n’ont pas d’emploi. Et contrairement aux analyses qu’on fait, ce n’est pas un problème d’adéquation formation-emploi, mais un problème d’inexistence d’emploi. Le marché du travail, il est en cohérence avec la création de richesses mais nous ne créons pas assez de richesses. C’est dommage qu’on tienne des discours du genre que l’Afrique est le berceau de l’humanité. C’est une forme d’exploitation. L’Afrique a beaucoup souffert et elle va beaucoup souffrir après la COVID-19 parce qu’on a des économies extrêmement fragiles.