Projets fantômes, chiffres gonflés, droits humains bafoués : la Cour des comptes européenne dévoile l’ampleur de l’échec du Fonds fiduciaire pour l’Afrique de l’UE.
Dans un rapport cinglant, la Cour des comptes européenne dévoile l’ampleur du fiasco du Fonds fiduciaire d’urgence de l’UE pour l’Afrique (FFU). Ce mécanisme censé endiguer la crise migratoire de 2015 se révèle être un gouffre financier de 5 milliards d’euros, jonché d’incompétences et d’absurdités. L’enquête menée sous la direction de Bettina Jakobsen est accablante.
De Benghazi à Sabratha, le FFU finance des projets sans rapport direct avec la migration, comme la rénovation d’une corniche côtière ou la restauration d’un théâtre romain en Libye, pendant que les migrants s’entassent dans des centres de détention opaques. En Éthiopie, on apprend, à la page 33 du rapport, qu’on distribue des mixeurs à des écoles sans électricité. Le comble de l’absurde !
Un fonds sans boussole
Les auditeurs Michael Bain et Edwin van Veen ont mis au jour un véritable cimetière de projets fantômes. Un abattoir flambant neuf et une ferme avicole high-tech pourrissent au soleil, faute de viabilité économique. Sur 115 investissements examinés, 33 sont déjà morts et 66 en soins palliatifs.
La Commission s’enorgueillit d’avoir créé 14 028 emplois. Le chiffre est évidemment gonflé. En Gambie, les auditeurs ont débusqué des bénéficiaires fantômes, recevant deux fois la même aide pour des projets avicoles inexistants. Plus grave encore, le FFU ferme les yeux sur les atteintes aux droits humains. Aucune procédure de signalement, aucun suivi. En Libye, les centres de détention financés par l’UE restent des boîtes noires, inaccessibles même aux auditeurs. Qui gère ces lieux après leur fermeture officielle ? Mystère.
Des chiffres gonflés, des résultats fantômes
Le système de suivi est une passoire géante. En Éthiopie, 100 postes de lavage des mains deviennent magiquement 100 réalisations distinctes au lieu d’une seule. Les chiffres sont systématiquement gonflés, les échecs, maquillés en succès.
En Gambie, dès que le robinet financier se ferme, les centres d’information sur les migrations disparaissent. Les autorités locales, censées prendre le relais, brillent par leur absence. Cerise sur le gâteau de l’incompétence : le FFU déclare comme « aide au développement » des activités de « contrôle des frontières », une fraude statistique qui gonfle artificiellement l’aide européenne.
Face à ce réquisitoire, la Commission européenne a tenté une explication timide. « Nous avons pris bonne note des recommandations. Nous les avons acceptées. Nous reconnaissons que nous travaillons parfois dans des situations complexes et difficiles sur le terrain, et nous sommes prêts à examiner cette recommandation », a répondu la porte-parole de la Commission.
Elle promet de « mieux cibler » l’aide, d’« améliorer l’exactitude » des données, de « renforcer la détection des risques ». Engloutissant des milliards sans résoudre la crise migratoire, le FFU offre cependant à l’UE une leçon précieuse alors que la Commission s’est lancée dans une politique d’accords globaux avec les pays d’origine et de transit (Tunisie, Égypte…). Il vaudrait mieux surveiller de près l’exécution de ce type d’accords. En outre, ce n’est pas la première fois que la Cour des comptes signale les défaillances du FFU
En 2018, un premier rapport avait déjà pointé du doigt des aides mal ciblées et des retards. « Nous sommes obligés de réitérer nos critiques car nous n’avons pas constaté de grands changements dans le champ d’action du fonds, qui reste trop étendu, » conclut Bettina Jakobsen, responsable du rapport.
Qui est responsable ?
Le fonds a été créé sous Juncker et, à l’époque, la responsabilité incombait à la haute représentante, l’Italienne Federica Mogherini. Sous la Commission von der Leyen, le portefeuille a été restructuré. La commissaire actuellement responsable des partenariats internationaux, qui inclut la supervision du FFU, est la Finlandaise Jutta Urpilainen.
Cependant, la responsabilité de la gestion du FFU est partagée entre plusieurs directions générales de la Commission européenne, notamment la DG INTPA
(Partenariats internationaux) et la DG NEAR (Voisinage et négociations d’élargissement), qui implique aussi le commissaire hongrois Oliver Varhelyi. Jutta Urpilainen n’est pas reconduite mais le commissaire hongrois, lui, doit passer des auditions prochainement devant le Parlement européen. Il sera intéressant de voir si les députés l’interrogent sur cet échec…