Ledakarois221- Au risque de galvauder le concept pour certains, je peux affirmer que nos
guides religieux ont été, pour la plupart, des entrepreneurs à leur manière. En effet, ils ont su arrimer à leurs projets spirituels et mystiques, d’intenses activités économiques, plus ou moins structurées, afin de ne pas exposer leurs communautés à certaines précarités existentielles mais aussi, pour être des acteurs à part entière du développement économique et social de leur pays.
Une lecture anthroposociologique de l’Islam confrérique au Sénégal montre que l’activité agricole et l’élevage étaient au centre de la vie communautaire et sans lesquels aucune vocation spirituelle ou mystique n’aurait pu tenir.
Le Prophète Muhammad (PSL) n’a t-il pas dit qu’un ventre affamé ne saurait s’acquitter convenablement des exigences de la prière et de la lecture du Coran.
C’était aussi une source d’autonomie par rapport à d’autres cercles de pouvoir, notamment l’autorité coloniale. Chapeauté par un pouvoir spirituel et mystique de forte envergure, cette autonomie va être décisive dans le rôle de contre-pouvoir que les guides religieux vont assumer face au pouvoir colonial.
Cette dialectique du spirituel et de l’économique a été crucial dans l’implantation du modèle confrérique comme force sociale de premier ordre et qui n’était inféodé à aucun autre système.
Les retrouvailles dans les champs du guide religieux permettaient également aux disciples de mieux se rapprocher, mieux se connaitre, donc de fraterniser selon les recommandations confrériques. Ce qui fut déterminant dans le rôle de pacification et d’unification de nos guides religieux pour l’instauration d’une cohésion sociale durable dans notre pays.
Khaly Madiakhaté Kala fut sans doute, l’un des précurseurs de cette dynamique économique et sécuritaire dans les cercles religieux maraboutiques. Il avait vite compris que le meilleur moyen pour les guides religieux de contrer l’influence « thieddo » auprès des populations récemment converties, était de susciter des avantages comparatifs en termes de production agricole, de réalisations économiques.
Son domaine agricole était aussi vaste et productif que celui du Damel cayorien avec la différence significative, que le « Kadi » visait à satisfaire les préoccupations solidaires auprès des nécessiteux, dignitaires comme serviteurs anonymes, alors que les récoltes du souverain servaient à remplir ses greniers.
Cheikh Ahmadou Bamba, (RTA), qui était plus qu’un avant-gardiste dans ce domaine, c’est-à-dire un Visionnaire hors du commun, avait incité les disciples « mourides » à ériger le travail par la sueur du front, à un rang de « culte ».
Cette ritualisation du travail chez les « Mourides » est devenue non seulement un facteur identitaire dans l’accomplissement de leurs obligations confrériques mais aussi, une façon d’exprimer et de valoriser leur attachement à leurs guides religieux et spirituels.
La forme la plus connue et la plus expressive de cet attachement, c’est la « hadiya » que chaque disciple se dit, devoir à l’endroit de son Guide.
Cette vision de Serigne Touba a aujourd’hui payé et porté ses fruits puisque la Communauté « mouride » constitue un maillon essentiel de notre poumon économique.
Serigne Babacar SY (RTA) était un agriculteur de vocation mais dans ses dossiers administratifs, il mentionnait toujours qu’il était cultivateur de profession.
Ce qui avait une double signification : d’abord sa proximité et sa solidarité sans faille avec le monde paysan dont il a toujours défendu la cause mais aussi, une manière pour le saint homme, de prévenir sur les exigences qu’impose une telle vocation. En effet, ce profil suppose une logistique de production performante, des objectifs de rendement et de production à forte incidence de revenus et peut-être un esprit d’amélioration constante des moyens, des variétés des semences pour doper la productivité, etc…
Selon une anecdote qui lui est attribuée, il aimait dire à ses hôtes de marque, venus partager le repas familial que le riz qui leur avait été préparé, provenait de son domaine agricole de Niandane dans le Walo, l’huile qui avait servi pour la cuisson, provenait de l’arachide qu’il avait produit dans son champ de Diamaguène (près de Tivaouane) et que le bélier dont la chair avait aussi garni ce repas, fut dressé dans l’enceinte de la maison familiale