Diffusé en VoD et en DVD, le film de Caetano Gotardo et Marco Dutra relate avec finesse les relations mouvantes entre Blancs et Noirs à Sao Paulo.
Signe des temps, l’un des plus beaux films brésiliens vus ces derniers temps ne sortira pas en salle, mais directement sur les canaux domestiques, en VoD et en DVD. Todos os mortos (« tous les morts ») figurait pourtant dans les rangs compétitifs de la Berlinale 2020. Il émane d’un collectif tout droit sorti de l’université de Sao Paulo, Filmes do Caixote, dont les cinq membres conspirent aux films des autres et y collaborent à différents postes. Il arrive ainsi que leurs films soient signés à quatre mains, comme les deux déjà sortis en France cosignés par Marco Dutra et Juliana Rojas : Travailler fatigue (2011) et le magnifique film de loup-garou Les Bonnes Manières (2017), deux façons de réinvestir les motifs du cinéma de genre sur le versant du rêve et de la poésie. Todos os mortos retrouve à sa tête le même Marco Dutra, en compagnie cette fois de Caetano Gotardo, tandis que Juliana Rojas en assure le montage – les attributions se distribuant comme au bonneteau !
Le film entretient une relation plus distendue au genre : c’est un film d’époque tendance brechtienne, un récit de fantômes sans surnaturel, une « hantologie » de la société brésilienne qui concerne l’intrication des rapports de classe et de race. En 1899, à la charnière de deux siècles, trois femmes de la haute bourgeoisie caféière, la mère et ses deux filles, arpentent isolées leur maison de ville à Sao Paulo, se remémorant leur passé glorieux dans la grande fazenda laissée derrière elles. Maria (Clarissa Kiste), nonne, s’inquiète de la santé déclinante de sa mère, Isabel (Thaia Perez), qui a perdu sa dernière domestique, et de l’état mental de sa sœur, Ana (Carolina Bianchi), qui prétend voir partout des fantômes des esclaves morts dans l’exploitation.
Interstices de l’histoire
Plus de dix ans se sont écoulés depuis l’abolition de l’esclavage dans le Brésil nouvellement indépendant, et la famille Soares, dont l’aisance en a largement dépendu, entre désormais en déclin et se disloque de toutes parts. A l’image de ce père resté dans sa plantation, désormais simple employé des propriétaires italiens qui la lui ont rachetée. Scandé en trois temps qui correspondent à trois fêtes nationales (l’indépendance, la Toussaint et Noël), le récit s’attache au plan de Maria pour sauver Ana de la mélancolie : faire venir de la fazenda une ancienne esclave, Ina (Mawusi Tulani), afin de pratiquer sur sa sœur un simulacre de rituel qui pourrait ramener sa sœur à la raison.
Todos os mortos remonte ainsi à l’origine de l’histoire postcoloniale, examinant tout du long les relations mouvantes entre Blancs et Noirs, encore marquées par le poids des siècles, de vieilles habitudes ancrées de déférence et de domination, amenées petit à petit à se rééquilibrer. C’est ce moment de déplacement dans les rapports sociaux, entre un passé non surmonté et un avenir non advenu, qui intéresse le duo de réalisateurs, car c’est précisément dans ces interstices de l’histoire que prolifèrent les fantômes.