Par Issa Thioro Gueye, éditorialiste
Il est loin d’être un vieil être mais il semble tout jeune dans notre art de vivre ensemble.
Il n’est jamais fait sans que le ou les mis en cause ne brandissent contre-rejet poétique ou contre-argument prosaïque pour congédier accusations et recommandations.
Il est publié alors que le public, dans sa majorité, n’en saisit point les techniques et fondamentaux stratégiques.
Seule une minorité peut le définir ou le faire.
Dans cette photographie du réel, se posent au regard de l’actualité ambiante trois (03) questions majeures même si elles contiennent une dose assez simpliste :
L’audit est-il fait pour accuser ?
L’audit sert-il à faire un procès moral ?
Sait-on réellement faire un audit au Sénégal ?
La présente tribune n’a pas vocation à y répondre. Elle invite à un débat réel sur le sujet.
Tant l’opinion semble toujours divisée après chaque publication depuis des années.
Tel que je le vis, en fait, l’audit apparaît comme un vieil émigré gardant une main généreuse sur sa famille sans jamais revenir depuis qu’il est parti il y’a des décennies. Les plus jeunes ne le connaissent que de nom mais l’adorent profondément parce que incarnant leur rêve. Quant aux adultes, ils rouspétent à tout vent, parce que ne pouvant pas comprendre pourquoi un si long séjour à l’étranger. Pour eux, il n’y a pas que le mandat postal qui fait nourrir une famille. La présence physique est essentielle.
J’avoue que, malgré les bonnes pratiques du BOM sous Senghor puis Diouf, c’est sous le régime de Wade que l’audit est apparu dans le quotidien de la génération des soixante-dixards à laquelle j’appartiens.
Antérieurement, je ne voyais pas les rapports, même déclassifiés, sur la place publique.
L’actualité n’en parlait presque jamais.
L’école non plus.
Ni les bornes fontaines – ruisseau de toutes les petites histoires – ni les marchés – espaces d’exposition à la vindicte populaire –
ni les lieux de culte – temples du savoir par excellence – ni les permanences – pôles de formation des politiques – ni les stades – tribunes des petits murmures – ni les gares – véhicules de toutes les indiscrétions possibles – ni les gargottes – gargouilles de toutes les formes de gazouillis de la rue – n’en faisaient cas.
Pour beaucoup de gens de ma génération, l’audit n’a commencé à exister que lorsque Idrissa Seck, tout puissant ministre d’État et directeur de cabinet du Président Wade, en avait fait une réponse à une demande sociale.
En 2000, les cafards du régime socialiste ont été exhumés d’une si rare violence par le Premier Ministre d’alors, Moustapha Niass, devant la représentation parlementaire dans sa déclaration de politique générale.
Plusieurs acteurs de la vie politique ne s’en sont jamais relevés.
Comme un requiem, le réquisitoire était fatal et mortel.
Puis, l’audit est devenu un rituel et une pratique consacrée. L’Armp voit le jour, les appels d’offres sont mis soumis à un meilleur contrôle…
Pour définir l’audit et rassurer le grand public qui l’assimile à un règlement de compte politique, l’autorité explique que le fait ne condamne pas mais invite seulement à une meilleure gestion des comptes et biens publics.
Erreur… Dans leur manière de communiquer, les tenants du régime libéral expliquaient tout manquement par le manque de probité des socialistes au pouvoir pendant quarante ans.
Lasse d’entendre un tel discours, l’opinion refoule “l’overdose”, une obsession, un abus dans la communication gouvernementales, et se met à réclamer des sanctions contre toutes les pontes du régime libéral gaspillant l’argent du contribuable.
Point de poursuite judiciaire mais des moues affichées un peu partout.
2007 le révèle.
La campagne présidentielle voit même l’essor d’un nouvel électeur : l’argent mal acquis, comme disait un candidat.
Wade gagne malgré la verve de son fils politique, Idrissa Seck, devenu entre temps opposant.
Le champ de la transhumance s’élargit comme il s’était ouvert aux mis en cause dans l’audit de 2000.
Les plus courageux boycottent les législatives et lancent, avec une bonne partie de la société, les assises nationales.
Le projet de “redressement national” était moins un audit qu’un diagnostic découlant d’un mal vécu, une “analyse critique d’une situation critique”.
Certes, la “charte” produite ne tuait pas l’audit mais elle mettait plus l’accent sur les réformes.
Commence alors une campagne de lutte pour une meilleure utilisation de l’argent public.
Des marches sont organisées.
La valise d’argent remise à Alex Segura, représentant résident du FMI à Dakar, pour corruption, fait l’objet d’une immense campagne de dénonciation menée par l’opposition et la société civile.
La caricature porte aussi sur la fameuse cuillère achetée à un prix d’or par une femme ministre. Tout comme elle touche les “folles dépenses” du ministre-fils du président lors du sommet de la conférence islamique.
Le pays vit, pendant ce temps, dans un bruit énorme du fait des délestages et de la crise alimentaire.
Le pays vit et va mal.
Les dénonciations se multiplient… D’un côté, l’affaire des licences de pêche sous Diouf est agitée. De l’autre, la gestion du foncier fait florès et débat.
Une grosse opération de communication s’installe entre “l’opposition républicaine” ou “responsable” et les tenants du pouvoir sur la gouvernance publique ainsi que sur l’utilisation des audits à des fins politiques. Mais, le déficit d’électricité et la cherté du coût de la vie sont si majeurs que des émeutes éclatent un peu partout à Dakar et dans le reste du pays.
Pour se justifier, le pouvoir pointe du doigt la vétusté des installations de Senelec et la fao puis lance, alternativement, des plans de sauvetage.
Les bateaux de fuel importé tombent à l’eau et ne règlent pas le problème de l’électricité.
Les champs du dimanche foisonnent et remettent au goût du jour la crise foncière.
Les scandales parlent plus fort que les réalisations des libéraux.
Est convoqué à l’assemblée le ministre-fils du président.
Il ne vient pas.
Une crise politique s’en suit et démantèle le parti au pouvoir.
C’est le début de la débâcle puis la fin d’une grande aventure politique.
Malgré les rapports de l’Armp et la volonté de Wade de la réduire à sa plus faible expression, l’opposition ne faiblit pas sur l’issue des audits.
Pour calmer le jeu, le pouvoir passe pour la première à l’acte et traque certains de ses tenants.
Des noms sont balancés à la justice, un dg est détenu certes, un autre devient prévenu… Mais pour le public, cela ne suffit pas : il faut plus de transparence et de mesure.
En 2012, le Président Macky Sall est aux commandes, une nouvelle ère s’ouvre. Le vent de la reddition des comptes souffle sur tout le pays.
Karim et Khalifa passent à la trappe et payent cash avec un séjour de plusieurs mois en prison.
Les faits ne font pas trembler le régime de Macky Sall qui rempile en 2019 malgré les accusations de corruption et de détournements portées par ses opposants notamment Sonko.
L’affaire des “94 milliards” font grand bruit avant d’être détrônée par une histoire de viol dans laquelle Sonko cite sans cesse, parmi ses “comploteurs”, le nom de Mamour Diallo.
Contre “le système”, l’opposant charge les magistrats pour leur parti pris en faveur du régime.
Les institutions civiles et militaires en prennent pour leur grade.
Dans la foulée, le mot audit disparaît de l’actualité et du lexique politique.
C’est l’ère du “mortal combat” dans un contexte de covid.
Rapports et enquêtes parlementaires meublent le quotidien des sénégalais dans une ambiance fortement politisée et un contexte où les réseaux sociaux sont devenus des salles de jugement.
Pour certains, l’audit n’apparaît plus comme un contrôle visant à amener le gestionnaire de deniers publics ou l’ordonnateur des dépenses à se conformer à la réglementation sur les marchés publics avec des recommandations fortes de l’organe auditeur.
Pour d’autres, l’audit est devenu une condamnation et une manière virile de jeter en pâture les administrations publiques.
Le budget programme, en vigueur depuis le 01er janvier 2020, ne fait plus d’un ministre le seul responsable. L’est tout aussi un Dage comme peut l’être un responsable de programme.
Dans la durée, on s’aperçoit que l’audit ne parcourt pas tous les dossiers. Et, on comprend qu’il doit être appris à bas âge et repensé de manière hybride dans une “classe de demain”. C’est-à-dire, en faire une “passion de transmettre” et un “devoir de performer” en toute probité.
IG – BIRAGO, Rufisque le 22 décembre 2022